Ecrire et illustrer

29 mars, 2006

 

Voici les résultats du jeu n° 24 - mars 2006


Le sujet était :
- pour le texte 15 à 25 lignes comportant les trois éléments suivants :- une sirène- un pachyderme caustique- un dé à coudre.
- idem pour l’illustration, mais là avec le privilège de s'acharner sur un seul élément... voire sur deux et même sur trois en cas d'arguments musclés…


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(Pour agrandir les illustrations, il suffit de cliquer dessus)





Illustration : Kiwivole




Au matin du 18 octobre 200*, Laurent G. se réveilla les bras tendus hors de la couette selon un angle de 45°. Tous ses efforts ne purent parvenir à les lui faire reposer : il restaient tendus, comme retenus par un fil invisible pendant du plafond. Cette idée saugrenue ne l’étant pas tant que ça pour son esprit encore embrumé, il se pencha pour inspecter ses mains. Des poignets semblaient effectivement jaillir deux fils de pêche presque invisibles qui s’élançaient droit vers l’obscurité du plafond. Ses membres ne présentaient aucune blessure, pas la moindre piqûre. Un minuscule cône de peau marquait simplement la tension des fils à l’endroit de l’attache. Laurent G. leva une main et toucha le fil qui reliait son autre main. Il n’était pas sensible. Il le fit vibrer. Le fil rendit un bruit sourd et il ressentit la vibration jusqu’à l’extrémité de ses doigts. Sa vision s’étant accoutumée à la pénombre de la pièce, il crut distinguer un reflet au niveau de ses pieds. Il se pencha en avant. En effet, deux fils identiques aux précédents s’étiraient à la verticale de ses pieds nus, traversant la couette sans la moindre torsion, comme si elle n’existait tout simplement pas.
Une soudaine tension au niveau du sommet de son crâne lui fit comprendre qu’il existait un cinquième fil. Il fut bien obligé de se mettre debout, rejetant la couette que les fils de ses pieds persistaient à ignorer. Il se mit en marche, d’une façon un peu hésitante et saccadée et se dirigea vers la salle de bain.
Faire pipi fut toute une affaire…
Mais lorsqu’il sortit enfin pour aller travailler, après s’être douché, habillé, après avoir bu son café (en renonçant toutefois aux tartines), son manipulateur avait acquis assez d’aisance pour que les usagers de l’autobus 22 ne remarquassent quoi que ce fût d’alarmant dans son allure.
Pour son patron, toute la journée, il fut le Laurent G. de tous les jours. Et son patron, quant à lui, fut le rhinocéros mal léché dont il supportait les remarques acides depuis maintenant presque cinq ans. Vers 17h, alors que les autres employés achevaient de vider les lieux, Laurent G., contre sa volonté, s’enferma dans un cagibi. Il n’en sortit qu’au bout d’une demi-heure, en nage et à demi asphyxié, portant dans ses bras l’une des quinze lourdes sirènes de fonte, objet d’art et cadeau d’entreprise, remisées là en prévision des étrennes.
A la lumière d’une lampe de bureau, sonotone débranché, à l’aise, le patron comptait la recette de la journée en sirotant un dé à coudre de sa liqueur favorite. Laurent G. s’en approcha par derrière. Ses pieds, exagérément soulevés à chacun de ses pas, lui donnaient une démarche comique, que démentait l’expression d’horreur qui se peignait sur ses traits à mesure qu’il entrevoyait le dénouement de l’affaire…

Yann Fastier





Illustration : Zézette




Le jour de mes cinq ans, marraine m’offrit un pachyderme caustique. Chaque fois qu’elle m’apportait un présent, elle l’affublait d’une épithète ou mentionnait sa provenance. Marraine avait du vocabulaire et voyageait beaucoup.
L’année précédente elle m’avait rapporté une sirène du Mississipi. Je m’empressai aussitôt de la rebaptiser sirène du missipipi. Lovée dans mon lit, elle servait alors de parfait alibi à mon incontinence nocturne.
La nuit, peuplée de tous ces animaux, ma chambre devenait le théâtre de scènes improbables dont j’étais le spectateur endormi. La girafe élégante conversait avec le perroquet hâbleur ; le poisson rouge avec le chat botté ; le boa charmeur avec la souris verte ; le chien malicieux avec le pur sang d’Arabie ; le tigre du Bengale avec l’ours des Carpates…
Tous ces chuchotements me berçaient et me rassuraient. Parfois, des disputes survenaient. Je perçus cependant que leur fréquence et leur virulence augmentèrent avec l’arrivée du machin chose caustique. En effet, aucun ne possédait les mêmes défenses.
Un matin, j’apportai à ma mère le tigre éventré. Munie d’un dé à coudre, d’une aiguille et de fil elle opéra l’animal pour tenter de lui rendre sa forme originelle.

Noëlle




Illustration : Bobi



Il était une fois, une sirène en bois, qui vivait à la surface des choses sans jamais rien connaître des profondeurs. Un jour qu’elle flottait entre deux eaux d’une douteuse limpidité, elle aperçut du coin de son œil en bois se pointer un mastard bavard à l’ironie facile. Notre petite sirène en bois joua d’abord l’indifférence : Je suis de bois Je suis de bois se répétait-elle, sentant glisser sur son corps poli par les intempéries les saillies acides du balaise. L’énorme insistait, s’acharnant sur le petit corps fibreux, le petit esprit frileux de notre marine amie. Le maousse accumulait moult remarques acerbes, fielleux points de vue et désobligeantes observations renforcées d’une pointe d’humour en fonte. Tant et si bien que le coin finit par avoir raison de l’impassibilité légendaire de la non moins légendaire sirène :
Dit donc, pachyderme caustique ! lâcha la poupée de bois, Mes avis qu’il faudrait mettre un terme à tes inepties ! Halte au blabla !
Se faisant, elle en appelait, du plus profond de sa fibre aux entités cosmiques.
La belle en bois n’avait pas toujours laissé de même matière les dieux qui, c’est bien connu font la pluie et le beau temps dans les nues. Au souvenir d’amours révolues, un de ceux qui hantent les célestes voûtes octroya tout de go pouvoirs magiques à la miss qui, sentant s’épanouir en elle ce don du ciel, se tourna illico vers le balaise :
Toi qui te gausses à tors et à travers, je vais maintenant te faire taire. Mais ce n’est pas tout, dorénavant, toute femme qui te verra pourra désormais t’enfiler d’un de ses charmants doigts.
Et sans laisser au balourd le loisir de dire ouf, elle le transforma en dé à coudre.

Marc Guillerot








Photos : Yob and Yobu



Ca m'a fait un choc de revenir dans cet appartement, ton appartement.
Bien sûr je t'y avais revue deux ou trois fois, mais il y avait ses meubles et les petites traces multiples de votre vie quotidienne avait fait taire les murs.
Je m'y attendais évidemment, mais ces pièces vides.
Je suis arrivé en avance et j'ai vu ta voiture devant la porte.
Je ne savais pas si c'était toi ou lui, le propriétaire n'était pas arrivé, je suis parti faire un tour dans le parc.
J'ai marché dix minutes en imaginant toutes sortes de confrontations désagréables, en m'exerçant au sourire de circonstance.
J'étais presque prêt à vous voir ensemble à mon retour, mais la voiture n'était plus là.
C'est en rentrant dans la salle de bain, ta salle de bain, que j'ai pris un coup dans l'estomac.
Et puis le hamac dans le jardin, la vieille table de cuisine qui pèse des tonnes, ton petit radiateur.
Cette maison c'est juste la somme de nos moments habillée de quelques parpaings.
Il va falloir chasser les fantômes.
Je sais que je ne reviens pas ici pour nourrir un vorace et pathétique culte du passé.
Je saisis juste une occasion.
Ma maison, mon abri, mon cocon, ma coquille.
Il doit y avoir au moins quatre façons d'aimer.
Combien de temps pour que tu disparaisses de ces pièces?
Je t'avais pourtant habillée d'écailles.
Je dois être de ceux qui ne donnent rien, qui dorment mieux en armure, le casque au bout des doigts.
Et qui préfèrent chérir de loin.
J'ai parcouru notre chambre du pas lourd des mammifères à peau épaisse, avec un brûlant désir de voir fondre à l'instant cette moquette.
Il ne faut pas m'en vouloir, j'ai dû craindre que tu puisses dissoudre ma peau, jamais ça ne se ressoude.

Yobu




Illustration : Cracra




Quand j’ai entendu la sirène, cet après-midi là, j’ai su que ça allait être pour ma pomme. Et ça a été pour ma pomme. J’avais pourtant dit à Jacqueline que ça n’était pas, mais alors pas du tout une bonne idée d’inviter tante Léonie. Déjà, le voyage en avion à son âge, j’étais perplexe, mais bon. Le problème était que j’étais sûr de pouvoir compter, le temps de son séjour, sur un nombre incalculable d’incidents, du petit problème au méga-accident. Jacqueline venait donc de m’appeler, me disant que lorsqu’elle était rentrée des courses, elle avait trouvé tante Léonie devant le lavabo de la salle de bain, en larmes et dans un état dépressif profond : elle avait juste eu la force d’articuler quelques mots pour dire que son dé à coudre était tombé dans le trou et qu’elle venait d’appeler les pompiers pour le récupérer. D’où la sirène qui avait précédé de peu l’arrivée d’un camion rouge chargé de trois gaillards en tenue bien décidés à en découdre avec le dé de tante Léonie. Au bout de deux heures tout avait été essayé : la brochette, le déboucheur liquide, la pince à épiler, les cinq doigts de la main, un à un puis tous ensemble. C’est alors que le sapeur- en-chef-président a eu l’idée géniale, il faut bien le dire, d’aller chercher l’éléphant du zoo voisin. Passons sur les détails de son introduction dans notre maison, l’important est le résultat : en quelques aspirations et expirations d’eau bien senties, notre ami pachyderme venait de créer dans notre lavabo un geyser, qui faisant d’une pierre deux coups, fit rejaillir le dé, qui alla au passage se nicher dans l’abat-jour, et rendit à notre lavabo son débit naturel. Tandis que tante Léonie était partie reprendre ses esprits dans son lit, on décida sur le champ, avec le directeur du zoo, de rebaptiser « Destop » cet éléphant caustique…

Fabienne Séguy





Illustration : Fred




Arghhh ! Hisse….et ohhh ! oufff !
Bon, tout va bien !
Ben oui quoi ! quelle idée de poser ce type d’interrogation ! Sous le lit !!!
J’y suis restée coincée 10 jours ; trop étroit ! Les ressorts au-dessus, ça fait un mal de chien ! j’achète demain un sommier à lattes, ou à pattes c’est selon, histoire de bousculer un peu les habitudes ; un lent dandinement, une berceuse le soir pour s’endormir, un trépignement bref mais furieux le matin pour se réveiller…
Enfin bon, je suis encore en retard ; d’autant que sous ce lit il n’y avait que des poussières ; des tas de poussières ; des gros tas ; mais pas des moutons, non ! des éléphants ! ouais ! ces grosses bêtes grises ou bariolées, selon que vous préférez Babar ou Elmer ; c’est ça, des pachydermes ! ces animaux qui ébranlent des kilomètres de savane à chaque pas, qui arrosent leur monde de l’eau putride des marigots ; et qui vous éclatent un barrissement caustique au nez si vous tentez la photo insolite ! Bien fait pour vous, elle est pourtant bien connue la rouée malignité de ces gros animaux qui semblent toujours sommeiller , petits yeux ronds sous paupières plissées !
Bref, j’aurais préféré des sirènes, au moins leur mélopée divine m’aurait fait passer le temps !
Ou des lutins ; à oui, super des lutins ! ils sont paraît il serviables et empressés, un peu les héritiers de ces bons vieux lares de nos ancêtres les Romains ; si vous entendez derrière les murs ou dans le doublage de votre plafond des petits bruits sourds, entrechoquement de dizaines et de dizaines de dés à coudre, ce ne sont pas « les souris-le retour », mais la compagnie de lutins en plein festoiement nocturne ; en prêtant bien l’oreille, vous entendriez même des accents de cornemuse ! ( c’est inévitable ! ils ont tous des grands-parents celtes !).
Aïe!
Oh là là, il serait bon de refaire un peu de gym régulièrement !
Sinon, c’est quoi la nouvelle règle du jeu ?

Mélusine.



Fatale attraction

De toute façon, c'était même pas la peine de poser la question : vu l'état de ses finances, le cirque Zordano courait droit à la faillite. Le personnel était payé au lance-pierres, les animaux nourris un jour sur deux, et je vous raconte pas comment ça sentait le fauve dans la ménagerie. Alors, le boss du barnum, un éléphant cynique et mégalo nommé Dumbo, réunit le personnel et lui tint à peu près ce langage :
«Ecoutez-moi, bande de nazes. Si d'ici une semaine, quinze jours à tout casser, vous me dégottez pas une attraction qui fasse revenir le public… Je mets la clef sous la porte ! Et tous autant que vous êtes, vous pourrez alors dire adieu à la piste aux étoiles ! ». A ces mots, les animaux présents se mirent à gueuler : les lions rugirent, les oies gloussèrent, même les lamas crachèrent. Dans ce brouhaha, une voix se fit entendre. « J'ai une idée, s’écria Sheeta, la gueunon. Je vais plonger dans un dé à coudre du haut d'un baobab ! ». « C’est ça ! pouffa Dumbo. Et on ira te ramasser à la petite cuillère ! ». Comme on pouvait s’y attendre, les médias se déchaînèrent. Après l’annonce de Sheeta, et son passage au 20h de Béatrice Borloo, le cirque fit salle comble à toutes les séances – notre pachyderme caustique ne se tenait plus de joie. « Youpie ! » barrissait-il, comptant et recomptant chaque soir la recette dans sa petite guérite. Enfin arriva le grand jour. Juste avant le coucher du soleil, une parade géante déroula ses flonflons dans la ville, invitant la population à venir admirer le numéro. Accrochée par un harnais au cou de Sophie la girafe, Sheeta atteignit lentement la cîme de l'immense baobab, prit place sur le plongeoir, et regarda la foule à ses pieds. C'était très impressionnant : les gens étaient comme des fourmis, le dé à coudre parfaitement invisible. Puis, respirant un bon coup, elle prit son élan, et c'est alors que la sirène de mon réveil se déclencha et que je m'étalai comme une bouse en tombant de mon baobab lit.

Anitta


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