Ecrire et illustrer: avril 2005

30 avril, 2005

 
Voici les résultats du jeu n° 14- avril 2005

Le sujet était :

Pour les textes : vous retrouvez par hasard une boite ; celle-ci contient deux objets qui évoquent pour vous une histoire passée ou présente qui vous bouleverse. Quatre personnages y jouent un rôle important. L'histoire se déroule dans deux lieux différents.Ecrire un texte entre 15 et 25 lignes.
Pour les images : illustrez cette histoire (ou un bout de cette histoire) à votre guise...

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Dans cette petite boîte, une odeur de bonheur, trois poils de chagrin... et rien de plus... elle promettait pourtant d'autres merveilles, rien que mon nez et ma déception. J'étais quatre. Dans les reflets divers et fleuris. Un jeune homme qui ne porte que des jeans ultra-moulants, une peau blanche et douce... on dirait bien qu'elle est parfaite. Sa tête est celle d'un idiot et d'un looser, il a du mal à ouvrir les yeux, sa veste aussi est en jean, il a l'air très très mal réveillé, il est timide, garde le silence. Et paf.Je le revois dans cet encadrement de porte où l'image s'est figée. Ou son dos blanc. Il était grand finalement. Il était assez grave, parlait à dessein. Puis vient dans mon souvenir une jeune fille encore lycéenne aux cheveux courts noirs noirs comme du café fort, elle ne parle pas, son regard est dur, je viens d'arriver, plus elle se tait et plus elle me fait peur à rester assise, quelle trouillarde je fais, quand elle rit comme elle paraît jeune et lui, il m'observe, ouvre la bouche, les joues rouges, me pose des questions pour que je parle de moi, ce que je fais rapidement en m'appliquant à rester creuse. Quand il m'a dit au revoir il m'a posé doucement les deux mains sur les épaules et j'ai retenu un petit sursaut, il était beaucoup plus grand que moi, j'ai dû lever la tête rapidement, marmonner une politesse, j'étais triste de les quitter, je n'ai osé aucun mot, ces quatre yeux là m'intimidaient trop.

Kiwivole





" Encore une boite à chaussure ! un peu écrasée, poussiéreuse ; tiens par là aussi les souris sont passées ; au feu.Elle brinquebale. Dedans ? un clou, un ruban.Une oeuvre d'art, et oui, ami des surréalistes, "ceci n'est pas un clou! ", titre de l'oeuvre exposée cette année là à la Maison blanche de Nedde. Petit écrin pour l'art contemporain dont on se moque et qui paralyse nos facultés d'interprétation, sans toujours titiller nos capacités d'imagination. Stéphanie m'y a conduite; l'artiste? son frère: grand, athlétique, un regard doux, des cheveux bruns, un sourire amère, une possibilité d'idylle, insensée pensée impossible: l'aventure n'est pas pour moi; pas encore. L'antithèse de sa soeur, jeune fille cacochyme, amie de lycée, complice d'une passion, tant raillée par les autres, pour le latin ! les autres ; mon ventre se serre lorsque j'évoque ces matins angoissants où il fallait nous serrer dans le bus auprès d'eux : enjoués, délurés, querelleurs, amoureux, libérés de ce devoir -foi- forcené à réussir un parcours scolaire sans faute, et qui écrasait toute vélléité d'ouverture aux plaisirs de l'adolescence. Elle, pâle, toujours toussotante, habillée de pastels, raide dans le corset qui l' enserrait jusqu'à la nuque, même pas en capacité de se défendre des rires moqueurs. Ce qui nous a rapprochées? allez savoir; le sentiment que la pondération, le calme, le retrait, la timidité, la droiture ne sont pas toujours exclusifs de richesses et de devenirs autres; mon âme missionnaire, main toujours tendue, une révolte farouche devant les injustices- de fait ou de jugement- une curiosité mêlée sans doute de compassion. Aujourd'hui peut-être je chercherais à la changer, je serais peut-être moi aussi de l'autre côté, du côté des forts!C'est un jour de printemps comme celui là que je l'ai conduite à la Rochelle chez ses cousins, avant de poursuivre ma route pour rejoindre des amis sur le littoral.Je venais d'acheter des lunettes de soleil, noires, de cette teinte qui donne au ciel une luminosité particulière, une luminosité masquée, filtrée, ces nuances orangées qui parfument les gros dos gris du temps d'orage d'une senteur automnale. J'ai ramassé là ce ruban bleu, décousu de son chapeau envolé par le vent, chapeau de paille comme il se doit, doté comme il se doit d'un élastique à glisser sous le menton, mais chapeau posé pour mieux s'offrir au soleil et aux embruns frais, humides et salés de la mer. Nous avons abandonné le chapeau à ces flots.Je suis partie après un café bu sur le port.Les dernières nouvelles m'ont été données plusieurs jours après par un commissaire: un enquêteur singulier, il avait je crois la détermination hargneuse de certains de ces héros de polar que je dévore aujourd'hui, mais que je méconnaissais encore; elle avait appelé ses cousins: tout va bien, je suis là, je vous attend devant la statue du maréchal.Ils sont venus, n'ont trouvé personne. Envolée, avec son chapeau ?

J'ai gardé le ruban."

Mélusine




La boite à boutons

Tous ensemble ils entrèrent dans la maison. Plus tôt dans la matinée, ils avaient accompagné leur vieille grand-mère jusqu'au cimetière où elle reposait désormais.Rien ne serait plus jamais comme avant et il fallait maintenant rentrer dans la maison, disperser les souvenirs et dire adieu pour toujours. La maison allait devoir être vendue, personne n'avait assez d'argent pour la conserver. Cette maison là pourtant était chère à leur cœur. C'était la maison de leur enfance. La maison des vacances.Tous les quatre accrochèrent comme à l'habitude leur manteau dans l'entrée puis ils se distribuèrent la tâche.Assise par terre, les genoux repliés sous elle, comme quand elle était enfant, Aude dénicha sous le lit de grand-mère la boite à boutons. Elle se souvint des heures qu'elle avait passé à farfouiller dedans quand elle s'embêtait les jours de pluie. Dehors il y avait la tempête, le bruit du vent et des vagues, s'y ajoutait le bruit d'Aude qui inlassablement grattait dans la boite à boutons pour dénicher un trésor.- Ce sera la dernière fois, se dit-elle. Ses yeux piquaient. D'un revers de manche, elle essuya ses larmes et ouvrit la boite.Depuis le temps qu'il n'y avait plus d'enfants pour farfouiller dedans, qu'il n'y avait plus de boutons à recoudre et de bouton de culotte à mettre dedans, certains s'étaient un peu terni. Aude les reconnut tout de même et elle se mit à gratter en écoutant la mer. Au fond de la boite, ses doigts accrochèrent quelque chose. C'était une clé et un bout de papier. Elle lut:Ma chère petite, si tu lis ça c'est que je suis morte, voici la clé du trésor. Avec ça vous pourrez garder la maison et y amener un jour tous mes arrières petits enfants. Foncez dans la remise, le trésor vous attend, je vous dis pas où mais vous saurez bien le trouver.Aude descendit quatre à quatre l'escalier en hurlant et tous mirent la remise sans dessus dessous. Le trésor était là, caché sous l'établi de pépé.Ils gardèrent la maison puis les années passant, on recommença à entendre le bruit d'un enfant farfouillant dans la boite à boutons

Naya





J’ai pas pu attendre, il a fallu que j’y aille voir. Evidemment à cette heure-ci, c’était fermé, mais j’ai escaladé la grille et je suis passé. J’ai eu un peu de mal à me repérer au début, ça faisait tellement longtemps, et je n’étais jamais venu dans le parc la nuit… Mais c’est revenu petit à petit, et en quelques minutes j’ai retrouvé le douglas. J’ai toujours aimé ce nom d’arbre. C’est d’ailleurs à peu près le seul arbre que je sais encore reconnaître sans hésitation. Faut dire qu’on venait tellement souvent ici, avec mes potes. Mes vieux potes, en ce moment, ils sont dans la voiture. Ils ont pas voulu m’accompagner jusqu’au bout, ce coup-ci. C’est à ça qu’on voit qu’on se fait vieux… Mais bon, Phil m’avait tout bien indiqué et je savais pouvoir trouver sans problème. J’avais apporté une mini-pelle de rempotage, ça devait suffire, d’après lui. A gauche de la grosse racine. Voilà. J’attaque, le cœur un peu battant. La boîte n’est pas enterrée bien profond. Moins que dans mon souvenir. Elle a pas mal résisté. Elle est à peine rouillée. Mais je ne l’ouvre pas. Pas sans eux, ça je l’ai promis.
Je retourne à la voiture. Ils m’attendent. A mon allure, ils savent déjà que j’ai trouvé. Nous rentrons en silence. Chez Phil, tous les quatre, comme avant. La cuisine est chaude. Instinctivement, c’est là qu’on se retrouve, serrés autour de la petite table en formica. Au milieu, une boîte, une simple boîte de fer blanc, que nous regardons sans trop savoir comment l’aborder. Après tout, c’est le passé qui va nous surgir à la gueule. On a peut-être eu tort d’aller la déterrer, notre jeunesse… Les autres comptent un peu sur moi, j’ai l’impression. J’étais son préféré. Ouais…
J’ai les mains qui tremblent. Je voudrais pas pourtant… Je pense à ma femme, à ma fille. J’ouvre. Laura. Une photo, une bague à deux sous. Laura.
Laura, la plus jolie, la tendre. Celle dont nous étions tous quatre amoureux, quatre potes amoureux d’une même fille, la meilleure…
On s’était pas battus, on ne s’était pas étripés. On s’était juste fait un promesse : qu’un de nous quatre l’épouserait, et pour rendre tout ça plus officiel - on est si sérieux quand on a dix-sept ans - on avait enterré la boîte avec les gages de notre serment. Que le meilleur gagne : le meilleur ira déterrer la boîte le lendemain de ses noces.
On se passe la photo. J’ai encore les mains qui tremblent, et je suis pas le seul. On pense à la même chose, c’est sûr. On pense à Laura. Et à l’autre, celui qui l’a eue, finalement, qui l’a eue à notre place. Faut dire qu’on faisait pas le poids à côté…
Qui fait le poids contre un semi-remorque une nuit de verglas sur la route de Poitiers ?

Yann Fastier





litboitepf

Illustration : Bobi



Un jour, j'ai ouvert une boite de cassoulet.
J'ai l'ai versée dans une casserole et j'ai chauffé à feu doux.
En regardant la saucisse, j'ai pensé à ma petite soeur.
En regardant les faillots, j'ai pensé à ma grande soeur.
Comme ça commençait à me remuer,
j'ai touillé le cassoulet avec une cuillère en bois.
J'ai touillé dans le sens des aiguilles d'une montre.
Puis dans le sens inverse des aiguilles de la même montre.
Comme ça commençait à bouillir,
j'ai éteint le gaz et j'ai versé le cassoulet dans mon assiette.
Puis je me suis assise et j'ai mangé en pensant à moi.

Bobi




Je m’étais couché dans un tel état la veille au soir, qu’il me fallut deux bonnes heures pour retrouver la boite aux lettres. Quand enfin je l’ouvris, celle-ci contenait deux objets, le premier était la carte postale où Paul et Amélie déclaraient passer de chouettes vacances au soleil dans cette île de rêve de l’autre bout du monde. La deuxième consistait en une enveloppe vierge contenant un tissu d’ignominies patiemment découpés par un esprit aussi pervers que méticuleux dans le journal de petites annonces locales. Les jambes me manquèrent soudain. L’émotion se ligua à la gueule de bois pour m’asseoir par terre, directement sur le béton de l’allée. Dans la lettre anonyme, je reconnaissais sans difficultés le style très particulier de Robert. J’avais passé suffisamment d’heures à ses cotés, sur les bancs de l’école pour ne pas me laisser abuser longtemps. Le courrier était bien dégueulasse et faisait allusion à mon étroite relation avec la femme du maire. Ceci relevait à son avis d’une sorte d’inceste par procuration, thèse qui, disait-il, ne manquerait pas de passionner l’élu. Me promettant de régler le problème en tête à tête avec Robert, je me reportais à la carte postale. Elle avait mis longtemps, près de trois semaines pour faire le chemin. Il faut dire que la poste, là bas, avait été un peu désorganisée. Ce n’est donc qu’une semaine après l’annonce de l’irruption volcanique et la parution de la liste des victimes dans la presse que je recevais ce dernier signe de mes amis.

Marc Guillerot





Ce qu’il ne faut pas inventer comme stratagèmes tordus, lorsque l’on a le malheur d’être un physiologiste et de vivre dans un siècle où une toute petite autopsie de rien du tout peut vous mener au bûcher. Je vous fais grâce des péripéties et des fréquentations louches qu’il faut s’envoyer pour quelques heures de concentration et d’observation au fond d’un labo bien planqué, à la mauvaise lueur de quelques chandelles discount. Il faut agir vite et avec précision pour éviter qu’une absence trop prolongée vous fasse suspecter par un clergé empressé de se chauffer gratis. Pourtant je l’aime bien mon labo, tout mal rangé qu’il soit. Bon, de temps en temps faut faire un peu d’ordre. J’étais justement en train de numéroter des abattis quand je remis la main sur un crâne de première qualité. La boite était solide, sans doute un bourgeois bien nourri, mais quelques coups de scies bien appliqués en vinrent à bout. Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant, incrustés dans l’habituelle matière grise, deux étranges objets. Deux petites boules de trois centimètre de diamètre, l’une verte et l’autre rouge et toutes les deux parfaitement sphériques et duveteuses. Je les extrayais illico pour les observer tout à loisir. Concrétions, kystes, toutes les pistes était envisageables et mon esprit scientifique se frottait les mains, si j’ose m’exprimer ainsi. J’avais déjà le tranchant prêt à l’action pour explorer les tumeurs lorsque du bruit se fit entendre dans les escaliers qui mène à mon laboratoire. A cette heure et au rafu, il ne pouvait s’agir que de Berthus et Claudius, que j’emploie régulièrement pour me fournir en matière première. Je dus abandonner mon travail pour réceptionner la marchandise et supporter le marchandage qui allait avec. Quand enfin, après avoir rendu les deux acolytes à leurs vies de surface et ranger le matériel, je retournais à ma table de travail, ce fut pour me rendre compte que les deux boules avaient disparu. Les miennes me montèrent à la gorge, mon sang ne fit qu’un tour et je me lançais sans plus attendre à la recherche des deux horribles. J’ai cherché très longtemps, si longtemps que j’ai fini par oublier ce que je cherchais. En désespoir de cause, je suis allé voir mon frère, puis ma sœur pour leurs poser la question de ce que je cherchais. Mon frère m’a dit d’oublier et ma sœur m’a rendu les deux boules, la verte et la rouge, que j’ai encore en ma possession. C’est très bien comme ça.

Magu





Tu as raison Marc ! C'est souvent avec frénésie que volent dans ma maison, aux premiers rayons doux et clairs et printaniers, les coussins, les tapis, les fringues d'hiver que je ne peux plus voir en peinture, les chaussures de l'été dernier flétries et avachies que je me demande même comment j'ai pu garder toutes ces mochetés poussiéreuses et que je me demande même comment j'ai pu les acheter !!
Bref, c'était parti cette année encore ! Comme en quarante ! Mon coeur s'emballait, mes doigts picotaient, j'avais envie de m'ébrouer !!
Alors j'ai foncé, tête baissée. Et vas-y que j'te vide les tiroirs, les armoires, les placards en chantant à-tue-tête, inconsciente et joyeuse.
Et puis ç'a été comme une explosion qui m'a pulvérisée ! Je n'ai plus été qu'un petit tas de cendre, consumée sur place en un instant. Je n'ai rien vu venir, et pourtant elle était là, je le savais, c'est moi qui l'avait glissée là au dernier ménage de printemps.

C'est pas la peine qu'elle me nargue de sa transparence éloquente, je sais ce qu'elle renferme : le petit couteau au manche en bois rouge sculpté que Paul m'avait confié avant mon départ comme pour s'assurer alors de mon retour, et ce morceau de basalte que Léo m'avait offert le dernier jour parce que jamais je n'allais revenir....

Paul et Léo !
L'un, fils du minéral et des glaces. L'autre, fils du sable et de la lumière.
L'un, source de tous mes élans malgré nos orages, nos éclats de voix, nos silences. L'autre, cette rencontre impossible mais soudain évidente.
L'un, si sensuel, si vivant, si rebel, si peu sérieux. L'autre, si calme, si posé, tellement silencieux presque taciturne.
L'un, si fragile, si dur, si déroutant. L'autre, finalement intarissable et si joyeux.
L'un, la douceur et le piquant, le charme et la tendresse, les étreintes passionnées. L'autre, le plaisir du partage, le désir de comprendre, les étreintes profondes, le noir sur le blanc.
L'un, ses départs furtifs au petit matin. L'autre, mes départs furtifs au petit matin.
L'un ici, tellement proche et pourtant si lointain. L'autre, si loin et pourtant si présent.

L'un, ce petit opinel rouge. L'autre ce minuscule morceau de basalte.
Deux histoires dans une boite de chocolats. Une boite de chocolats offerte par Emma, amie de toujours et témoin patiente de toutes mes histoires !
Deux petites choses inanimées et inoffensives mais pourtant si vivantes et si meurtrières
Je veux me réconcilier avec elles. Je veux qu'elles ne soient plus contre moi. Je veux qu'elles me protègent. Je les prends dans mes mains, je les caresse, je les respire. Enfin, je me calme...
Je les dépose dans leur boite sous les vieux pulls d'hiver.
Elles attendront bien le prochain printemps !"

KTI




C’est le printemps et comme tous les ans le Grand rangement de printemps s’impose. Cette fois-ci, je commence par ma chambre, procédons de façon méthodique : la boîte des collants et bas, puis les sous-vêtements, les tee-shirts, les pulls, etc.
Je ne suis pas quelqu’un de très ordonnée, je retrouve mes collants mélangés dans ma boîte à couture. C’est en les démêlant qu’un souvenir me revient : c’était il y a environ 25 ans, je partageais ma chambre avec ma sœur, nous avions des lits jumeaux. Tous les soirs, après le brossage des dents, la mise en pyjama, et enfin la grosse bise à nos parents, nous nous retrouvions dans notre lit. Et là panique à bord, j’étais persuadée qu’un homme se cachait en dessous. Je n’osais pas regarder, alors une idée de génie m’est venue. Prenant mon courage à deux mains (elles n’étaient pas de trop), j’allais chercher, dans la boîte où ma mère rangeait ses collants, une paire et j’en attachais une extrémité de jambe au poignet de ma sœur et l’autre au mien. Ainsi j’informais Marie-Noëlle qu’il me suffisait de tirer sur ma jambe de collant pour la réveiller si un bruit m’avertissait d’une présence inhabituelle près de nous. Je pouvais alors m’endormir sereine, prenant soin auparavant de tester mon habile stratagème, ce qui ne manquait pas d’agacer ma sœur qui souvent venait de se laisser aller à de doux rêves. Grâce à ce fil de soie et à la gentillesse de ma sœur, je pouvais me reposer sur mes deux oreilles. Encore aujourd’hui, je ne laisse jamais dépasser un bras hors de mon lit. Marie-Noëlle ne dort plus à côte de moi depuis bien longtemps et je ne suis toujours pas allée vérifier s’il y avait un type sous mon lit, j’ai peut-être tort. Je m’en fiche, j’ai mon homme près de moi.
En fin de matinée, mes vêtements d’hivers sont rangés. Je m’attaque au reste de ma boite à couture. Devinez un peu, bingo! Un nouveau souvenir surgit sans crier gare. En classant les boutons par taille, je me revois enfant (à nouveau !) chez ma grand-mère, assise à la table de la cuisine en train de jouer, en compagnie de ma sœur (ma fidèle amie de jeux), avec la boîte en fer blanc qui contenait un véritable trésor : une multitude de boutons de toutes les formes et couleurs. Nous choisissions un bon bouton bien solide avec deux trous au milieu, nous y passions un fil et après il suffisait de le faire tourner à toute vitesse, de tirer sur le fil, afin qu’il produise un joli son, nous étions capables de rester des heures tranquilles sans nous chamailler, comme hypnotisées. J’avais choisi parmi tous ces boutons deux magnifiques de couleur marron afin que ma mère puisse redonner la vue à mon nounours qui l’avait perdue lors d’un terrible combat, dont il était, malgré tout, sorti victorieux. Mais il se fait tard et je n’ai toujours pas fini mon rangement.

Nathalie D.V.








Illustration : Zézette




Petite corbeille en osier retrouvée parmi un monticule de papiers oubliés. Chez moi , au calme, je viens de mettre à jour une partie d’une histoire commune, le temps charnière entre ma vie passée d’homme marié et ma vie actuelle, libre et seul. Je l’ouvre en sachant déjà ce que je vais y trouver. Et puis finalement je la referme avant même d’avoir fini de faire crisser les gonds de la corbeille. Je passe trois coups de fils et le soir même, me retrouve avec trois amis. Nous ouvrons ensemble la corbeille, attablés dans notre repère, un petit bistrot dans une rue tellement pentue que toute soirée bien arrosée se terminait dans le fossé. À l’intérieur, deux écrins, refermant chacun une alliance. Chacun reprend son bien, un écrin ou un anneau. Deux d’entre nous ont perdu leur femme et ont récupéré le cercle de métal précieux, les deux autres n’ont plus que l’écrin : le même jour les uns ont enterrés leur femme tandis que les autres en épousaient une. Ces quatre jeunes hommes que nous étions ont lié leur vie lorsqu’ils se sont rencontrés à la mairie, et ont débuté leur nouvelle vie quatre. Depuis ce jour je vis par procuration.

Héléna Bonnet





Ce jour d’avril 2004, jamais je n’aurais pensé titiller ma mémoire, vivre un retour en arrière, remonter le temps refoulé de mes quinze ans, si loin déjà… quand je la vois, ma « boîte à disques », renfermant ces précieux objets en vinyle que j’ai lâchement abandonnés depuis toutes ces années .
Tout à coup, c’est le « Big Bazar » dans ma tête : IL est là, faisant tourner mes souvenirs à 78 tours , LE disque de l’été liberté et tout me revient en mémoire : je me retrouve dans la salle de mon premier concert avec Michel Fugain et sa troupe, dont l’autorisation d’y assister fut arrachée de force à mes parents au prix de négociations ardues. Enfin le grand soir !!!
Briquets allumés jusqu’à s’en brûler les doigts, larme à l’œil en chantant « bravo monsieur le monde »… Trop de souvenirs, fermons la boîte !…Non , au contraire, sortir le disque de sa pochette, le toucher pour retrouver l’émotion…

Et c’est à ce moment là que j’aperçois un deuxième objet, incongru à cet endroit :un téléphone !!! Non, bien sûr, pas un vrai téléphone(il n’aurait pas logé dans la pochette de disque, l’imagination a ses limites !!!) mais un pin’s (et oui c’était la mode, nous sommes en 1976 !) de TELEPHONE, le top du rock français de l ‘époque…Là, je suis « sonnée »…Dire que je les avais presque oubliés, les quatre énergumènes qui m’ont pourtant accompagnée pendant mes années de rébellion , ceux que j’écoutais dans le noir, le casque à fond sur les oreilles, dans ma chambre d’adolescente aux meubles peints en mauve, aux murs tapissés de draperies indiennes, un bâtonnet d’encens se consumant pendant que « je rêvais d’un autre monde », que je devenais « Cendrillon pour mes vingt ans »…

Là, c’en est trop, il est vraiment temps de ranger les souvenirs, refermer la boîte avant que la déprime ne me guette…Salut Fugain, bye bye Téléphone, et « si on s’donnait rendez-vous dans dix ans »…

Peut-être qu’un jour d’avril 2014, je reviendrai faire un tour dans mes souvenirs, accompagnée qui sait d’un petit drôle qui me dira : « c’est quoi, mamie, ces drôles de ronds dans la boîte ? » Alors j’ouvrirai une autre boîte dans laquelle sera soigneusement rangé un vieux mange-disque, je lui ferai écouter mon enfance et je lui ferai cadeau du pin’s que j’accrocherai délicatement sur son tee-shirt en rêvant pour lui d’ »un autre monde ».

Annie Cub





Dans mon grenier
j'ai trouvé une boîte
dedans il y avait deux choses :
la Nuit et le Jour.
Marjolaine Bonnet



La vallée des hontes.

La solitude est un état qui ne m'est pas naturel, mais c'est une chose que je connais bien pour l'avoir longuement pratiquée.
Au fil du temps, elle est presque devenue une ennemie intime.
Ne pas partager, garder ses peurs et ses colères pour soi en se demandant à mi voix si tout ces orages qui vous traversent le crâne sont des phénomènes normaux, si d'autres personnes peuvent éprouver cela.
Et toujours veiller à garder un comportement sain tout en ayant aucune idée de ce à quoi ça peut ressembler.
En société, éviter de regarder vos concitoyens avec l'air de vous demander s'ils vous considèrent comme un pair ou une espèce apparentée.
Je me demandais ce qui différenciait la normalité du conformisme, où était la frontière et combien elle faisait de kilométres.
J'avais un peu peur de tourner bizarre.

Ayant appris par les journaux que les cocottes minutes possédaient un fort potentiel explosif, je m'étais fabriqué une boite.
Ce truc avait deux compartiments : la vallée des hontes et le grenier des colères.
Dans la vallée des hontes; il y avait une piscine gonflable, juste à coté du torrent de larmes pour l'alimentation en eau, parce que la honte ça se noie.
Je me souviens qu'elle était verte, un peu vert algue et qu'elle sentait l'ensillage.
Dans le grenier des colères ; à gauche de l'escalier contre la soupente, il y avait un gros girobroyeur violet alimenté au charbon, ne me demandez pas comment, parce que la colère ça se broie.

Le coffre des tempêtes fonctionnait tout seul en parfaite autonomie grâce à une équipe réduite mais efficace.
Le vieux Louis et Anastase, son fidèle baudet du poitou, partaient chaque matin chercher le charbon où il se trouvait : au pied de la montagne sur laquelle venait s'abattre les monstrueux nuages de suie qui sortaient de mon girobroyeur.
Rien ne se perd tout se transforme, deuxième principe de la thermodynamique.
Ainsi, je ne sais où se trouvait la source du torrent, mais la piscine était constament alimentée, probablement par l'évaporation de mes peines.
Il me suffisait de deux soeurs pour tenir le tuyau et regonfler les boudins de temps en temps.

Louis vivait dans une vieille maison au toit à demi écroulé près de mon grenier, avec deux pièces, la cuisine en bas, une petite fenêtre à côté de la porte qui pourrissaient du bas puis la grande cheminée de pierre avec le four à pain à l'intérieur et une table, deux bancs, une paillasse sous l'escalier qui menait à la chambre.
Là-haut il n'y montait pas, le lit était couvert de tuiles, c'est le plancher qui servait de toit.
Anastase m'était antipathique, il ne se séparait jamais d'une espèce de sourire ironique posé sous son gros museau épanoui.
Quant aux deux soeurs, elles étaient peu bavardes et ne se baignaient jamais.

Dans la maison du Louis, sur la table, il y avait les reliefs d'un repas, pétrifiés.
Un quignon de pain fossilisé, un verre de vin dont le contenu marron et poreux ressemblait à une éponge et la bouteille à côté, cullottée comme une anglaise.
Puis une assiette sur laquelle reposait une part de camenbert dotée d'une palette de couleurs proprement extraordinaire.
Mathusalem n'était pas né que ce truc devait déjà pourrir.
Je ne sais pas, je ne pouvais que supposer, je pense qu'il vénérait comme une icône le dernier repas de son père.
Jamais je ne le vis s'asseoir à sa table.

Quant aux deux soeurs, flottant sous leurs blouses fleuries; elles vivaient chichement, dans une cabane à l'orée du bois.
Je crois qu'elles avaient un héritage, une petite maison en dur près de l'endroit où le torrent rejoignait la mer, devant la Baie des Australiens.
C'était loin, aux confins du coffre, elles n'y allaient jamais, préférant fureter dans la forêt proche et poser quelques pièges afin d'améliorer leur ordinaire, le lemming étant très abondant dans cette partie de la vallée.
L'humidité aidant, leur potager était florissant, puis elles savaient agrémenter leur popotte de quelques uns des champignons qui colonisaient la cabane.

Moi, je fournissais le carburant; petites défaites et mauvaises pensées, rages quotidiennes, concupiscence et cupidité, petites déprimes et gros cafard.
Il y a deux ou trois jours, je suis retombé par hasard sur un livre blanc dont la tranche était vierge, ce livre que j'avais patiemment découpé afin d'y créer un compartiment secret de la taille d'une boite d'allumettes.
Ce livre qui fût ma cache avant de disparaître dans ma bibliothéque, entre albert Cohen et Condillac.

J'ai arrété de remplir ma boite au moment où j'ai commencé à tenir un journal régulier, l'un se révélant aussi efficace que l'autre, c'est à dire complétement innefficace.

Yobu




Photo : Yobu





Ça me gêne encore de parler de ça aujourd’hui, même après tant d’années, même après une psychanalyse dure mais réussie –regardez comme je souris ! Bon enfin, voilà. À la base, c’était une histoire entre la petite souris et moi. Sauf que le père Noël s’en est mêlé et que que ça a fait tout dérailler. Et c’est la dent de lait et la tapette que j’ai retrouvé tout à l’heure dans le tiroir droit de ma coiffeuse qui ont remis mes souvenirs sur les rails. Bref : le fait est qu’en classe de CP, l’instit n’avait rien trouvé de mieux à faire que de nous amener visiter une usine de dents de lait, des vraies, et que moi, je n’avais rien trouver de mieux à faire que d’en choper quelques unes au passage pour assurer mes arrières bien au-delà du nombre réglementaire par machoire et m’assurer ainsi une avance en espèces sonnantes et trébuchantes pour ma retraite –tant attendue déjà à l’époque. Tout marchait bien à raison de 3 à 4 dents glissées sous l’oreiller chaque semaine : et c’était un plaisir de voir ma tirelire se remplir. Tout allait bien jusqu’à ce qu’un 24 décembre fatal l’autre énergumène sapé en rouge appelle ma mère pour la mettre au courant du trafic qu’il venait de découvrir, une prolifération anormale de souris dans la maison (jusque dans la cheminée !) lui ayant mis la puce à l’oreille. (Mon stock dentaire n’avait pas été dur à trouver, dans le premier tiroir de mon bureau). Alors que ma mère, elle, malgré mes bientôt 16 ans, ne s’étonnait de rien quand je lui parlais de la petite souris qui était encore passée cette nuit (elle se contentait de lutter comme elle pouvait, avec l’arme blanche à ressort évoquée ci-dessus, pour remettre de l’ordre dans cette maison-qui-était-décidément-infestée-de-souris). En quelques mots délateurs, il avait tout foutu par terre et allait m’obliger à faire mes annuités et même plus si ça se trouve… Ce soir funeste résonne encore si fort en moi qu’à sa simple évocation je sens mes plombages se fissurer et mes dents se déchausser… Finalement, peut-être bien que je vais rempiler pour quelques séances…

Fabienne

01 avril, 2005

 
Règle du jeu n° 14- avril 2005

Pour les textes : vous retrouvez par hasard une boite ; celle-ci contient deux objets qui évoquent pour vous une histoire passée ou présente qui vous bouleverse. Quatre personnages y jouent un rôle important. L'histoire se déroule dans deux lieux différents.
Ecrire un texte entre 15 et 25 lignes.


Pour les images : illustrez cette histoire (ou un bout de cette histoire) à votre guise...

Vous avez jusqu'au vendredi 30 avril à 18h58...

Bon courage à tous !

Marc Guillerot



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